Mardi 13 Novembre 2018
Expos : en ce moment à la Friche
Cette saison, la Friche Belle de Mai regorge d’expositions faisant écho aux questions fondamentales de notre temps. Écologie, surveillance, capitalisme… déambulez parmi les œuvres et confrontez-vous aux regards et aux discours d’artistes internationaux toujours plus inventifs et pertinents.
Supervisions, dans le cadre de Chroniques, biennale des imaginaires numériques
Chroniques, biennale des imaginaires numériques, s’est installée entre Aix et Marseille. Du côté de la Friche, l’exposition nous fait prendre de la hauteur, en nous montrant comment la conquête du ciel a permis de développer des dispositifs pour voir plus loin, mais aussi pour surveiller. Autrement dit : comment s’articule la supervision, dans tous les sens du terme. Tout un volet de l’exposition nous plonge dans les problématiques militaires contemporaines, avec un monument consacré aux drones morts au combat (par le collectif Iocose), ou encore avec War Zone, l’installation vidéo de Nicolas Maigret qui reconstitue, à partir des données Google Earth, les trajectoires de trois missiles, qui parcourent des milliers de kilomètres avant d’atteindre leur cible.
De nombreuses installations remarquables ponctuent l’exposition, comme la toile de lin tendue par Jean-Benoît Lallemant. A première vue, rien ne s’y passe. Mais au bout de quelques secondes, on constate que la toile se déforme, furtivement, par endroits. Ces pincements traduisent en fait des frappes aériennes, orchestrées par les drones américains, sur cette carte invisible du sol yéménite. Aussitôt la frappe passée, tout disparait sans laisser de trace, nous laissant dans l’attente angoissante de la prochaine attaque.
Dans la pièce adjacente, plongée dans l’obscurité, une étrange machinerie est à l’œuvre. Des maquettes, en mouvement constant, remuent sous l’œil de minuscules caméras. Sur les écrans juste à côté sont diffusées, en simultanée, les images de ces paysages bombardés alors que quelques mètres plus loin, ces mêmes prises de vues se retrouvent propulsées en une des JT. Une installation de science-fiction qui nous plonge dans la robotisation généralisée et la mise en image des guerres contemporaines. L’exposition agit comme une prise de conscience : de la distanciation qui s’est créée, en cas de conflit, entre la victime et son bourreau, mais aussi et plus généralement de tout l’arsenal qui gravite autour de nous et observe depuis le ciel. Une idée particulièrement bien retranscrite par l’installation Satelliten, du collectif Quadrature, qui présente un feutre pointé sur une carte. En temps réel, le bras robotique trace sur la carte la trajectoire des satellites qui passent au-dessus de lui. Seulement quelques heures après la mise en route de l’installation, plusieurs traits venaient déjà noircir la carte qui sera, à n’en pas douter, totalement opaque d’ici la fin de l’exposition, le 16 décembre.
Horseday, dans le cadre des Rencontres à l’Échelle, en collaboration avec l’association Aflam
Un bien curieux film est présenté à deux pas des grandes tables, au Petirama. On y découvre les écuries Fletcher, qui font cohabiter chevaux abandonnés et jeunes de ce quartier difficile de Philadelphie. L’artiste Mohamed Bourouissa organise et documente, avec les habitants, un grand concours de « tuning » hippique, qu’il nous raconte à travers deux écrans. Au fil des séquences se dessine une histoire de la représentation des cowboys noirs, ainsi que des questionnements sur l’appropriation des territoires, le pouvoir et la transgression.
Biomorphisme, approche conceptuelle et sensible des formes du vivant
Installé au 5e étage de la Friche jusqu’en février 2019, Biomorphisme cherche, dans une dimension écologique et à travers une réflexion sur ses formes, à renouveler notre empathie envers la nature. Performances éphémères, dessins, recherches textiles, visuelles ou formelles, les œuvres regardent le vivant, tentent de l’apprivoiser, de le sublimer ou de le comprendre.
Pour Amélie de Beaufort, cela passe par une expérimentation riche et diverse de la matière. Elle interroge les formes et tente d’établir un lien entre nature et mythologie, ou comment le vivant fait écho à nos propres constructions historiques, et réciproquement. Avec ses installations in-situ, l’artiste japonais Teruhisa Suzuki, proche du land-art, rétablit un dialogue entre architecture et nature. Un work-in-progress mené par l’artiste, en collaboration avec des étudiants, fera naitre une construction structurale réalisée à partir de cagettes de fruit, dont vous pourrez suivre l’évolution tout au long de l’exposition.
Et en parallèle, un colloque réunira le 25 janvier différents artistes, scientifiques, chercheurs, philosophes ou théoriciens autour de ce thème du vivant. Le public pourra intervenir et échanger avec les professionnels sur ces questions de plus en plus essentielles.
Les Instants Vidéos
Pour sa 31e édition, le festival célèbre les 2000 ans du poète Ovide et les 50 ans de mai 68, en associant plus que jamais la poésie à la politique. Installée pendant tout le mois de novembre à la Friche, l’exposition s’étend sur deux espaces, la salle des machines et la tour panorama, et foisonne de propositions vidéo hétéroclites interrogeant, via le corps, notre monde.
Au rez-de-chaussée, on découvre « Le corps à perte de vue ». Pour François Lejault le corps est absent du paysage de Port St Louis, l’île bricolée. Il retrace dans un triptyque qu’il envisage nomade l’histoire et l’évolution du territoire. Et si le corps n’est pas ostensible, son existence laisse une trace dans le paysage et participe au mouvement. Une ambivalence entre présence et absence que l’on retrouve dans Traversée de Jeannie Brie où l’on assiste à l’émergence d’un mur fantomatique qui vient contraindre et diviser un paysage jusqu’alors nu - comme pour interpeller sur les grands enjeux de notre temps, la distance érigée entre les hommes comme celle qui tend à séparer l’humanité de la nature. D’une posture contemplative, le spectateur en vient à projeter sa propre existence dans le paysage et interroge avec lui la réciprocité des influences.
Au 3e étage pour « il n’y a de péril que pour celui qui s’abandonne », le corps réinvestit l’espace, et devient support explicite du discours. Différentes cultures s’expriment et se répondent, et au fil d’une déambulation entre les espaces et les œuvres, on voyage parmi les sujets incontournables de notre époque. Avec Ode to decrepitude, Clémence BTD Barret interroge notre rapport parfois méprisant, voire insultant, au vieillissement du corps. Chez Risto-Pekka Blom, le corps s’oppose aux flux des finances dans une redite de la résistance menée à Tienanmen. La crise migratoire se mêlent à la crise écologique pour l’artiste Majd Alloush, et l’on assiste impuissant à la lutte d’un homme échoué sur une plage qui peine à se défaire du sac en plastique dans lequel il est enfermé. Autant de thèmes universels et contemporains qui interrogent l’humanité loin des frontières d’États.
Alors dans un esprit de partage et de dialogue entre les cultures et l’histoire, on retiendra cette phrase, slogan du festival, « humains de tous les pays, caressez-vous » !
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